Expulsion du squat Rue Carnot : Quand l’odieux le dispute à l’abject…

Droit Au Logement Vienne (86)

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Comme nous vous l’annoncions mercredi, la police est entrée en défonçant les portes du squat rue Carnot mardi à 15h45. Probablement en ayant comme prétexte un flagrant délit de vol d’électricité et utilisant une plainte d’EDF, les pouvoirs publics en ont profité pour expulser les habitants, une famille de 3 personnes de Roms Roumains présente sur les lieux et trois ressortissants géorgiens et un jeune français absents au moment des faits, et ce sans autre forme de procès. Des scellés sans aucune indication ont été posés vers 18h.

Comme l’écrit Amnesty International dans son rapport :  Nous réclamons justice ». L’Europe doit protéger davantage les Roms contre les violences racistes, « « La France fait pâle figure au sein de l’Union européenne et devrait rougir de la manière dont elle traite les Roms, contrairement à ce qu’a pu dire M. Hollande. Elle les enferme dans une spirale de violences, tant dans les propos que dans les actes qui, s’ils ne sont pas condamnés systématiquement, pourraient se banaliser, » a déclaré Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International.

Les Roms subissent trop souvent des pratiques inacceptables comme le harcèlement policier ou des manœuvres d’intimidation avant ou lors des expulsions de campement notamment à Marseille : contrôles d’identité tard dans la nuit, destruction de biens, tentes déchirées, utilisation de gaz lacrymogène… Ces pratiques sont contraires aux normes internationales relatives à l’usage proportionné de la force et la non-discrimination. Elles sont exercées la plupart du temps en toute impunité sans faire l’objet d’enquêtes exhaustives. »

Il n’en est pas autrement de ce qui s’est passé mardi et qui continue de se passer aujourd’hui. Non seulement, la police, EDF, la mandataire judiciaire, la préfecture et la mairie ont participé à la violation caractérisée de droits fondamentaux des squatteurs : droit au logement, droit à avoir un procès équitable, droit de se défendre, droit de l’enfant, droit à avoir une vie digne… mais pourraient être poursuivi pour non assistance à personne en danger et abus de faiblesse, le tout en bande organisée, voire d’association de malfaiteurs puisque tout semble avoir été calculé pour violer les lois et procéder à l’expulsion illégale du squat.

D’abord les scellés ont-ils été posés par la mandataire judiciaire ? Si cela se révélait exact, elle aura été en l’espèce juge et partie. D’un côté, comme c’était dans ses prérogatives, elle a géré l’affaire à la place du propriétaire en portant plainte. D’un autre côté, elle a utilisé son pouvoir de poser les scellés sans en référer à personne pour effectuer une expulsion arbitraire en passant outre toute procédure juridique. En réalité, elle a violé l’article 61 de la Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution « Sauf disposition spéciale, l’expulsion ou l’évacuation d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux. »

Ensuite, concernant le vol d’électricité, d’après la police présente sur les lieux, un employé d’EDF serait passé dans la rue et aurait constaté une lumière allumée dans le squat… faisant visiblement preuve d’une réelle conscience professionnelle, il l’aurait signalé à EDF qui aurait alors porté plainte. Nous allons vérifier auprès d’EDF, mais si c’était le cas, les mots nous manqueraient pour qualifier cette exaction d’EDF. Des personnes à la rue dont une petite fille de 2 ans se mettent à l’abri dans un immeuble vacant et abandonné depuis 6 ans et, en portant plainte, EDF participe à leur expulsion… La liste des personnes qui n’ont plus de glace dans leur salle de bain pour ne plus avoir à s’y regarder dedans le matin à l’air de s’allonger démesurément à Poitiers…

Enfin, la famille de trois personnes qui vivait là depuis près d’un mois, a été arrêtée y compris la petite fille de 2 ans, et conduite au commissariat pour qu’ils soient interrogés. Nous savons aujourd’hui que le traitement qu’ils ont subit s’apparente à de la torture morale et a été indigne d’un pays qui se dit le pays des droits de l’homme. Là aussi et surtout les mots nous manquent. D’abord, comment justifier la présence d’une petite fille de 2 ans au commissariat avec sa mère durant six heures et demi et ce, pour ce qui serait, si c’était avéré, un vol par nécessité de quatre francs 6 sous, du type du vol de pain par Jean Valjean dans Les misérables ? Ensuite, les intéressés, en particulier l’homme, ne sait pas encore aujourd’hui s’il a été mis en garde à vue ou pas. On lui a bien proposé de voir un médecin mais pas un avocat et il n’y avait pas d’interprète. Les policiers se sont mis à plusieurs pour le harceler, lui ont mis les menottes lorsqu’il a dit qu’il n’avait rien à déclarer, l’ont conduit en interrogatoire plusieurs fois. Il semblerait qu’il ait subit un prélèvement ADN et une prise d’empreintes, pour lesquels les policiers lui ont demandé de faire une croix pour signer et a été reconvoqué le lendemain à 9h. Là, rebelote, harcèlement, intimidations, pressions menaces, puis il est encore reconvoqué pour le lendemain… Il n’aurait toutefois rien signé. Combien de temps va continuer cet acharnement ?

D’autant plus que ce qui semble intéresser les policiers ce n’est pas spécialement le vol d’électricité sur lequel les squatteurs n’ont été auditionné que quelques minutes, non ce qui intéresse les policiers c’est d’avoir des informations sur le Dal86 et surtout sur l’un de ses membres !

Voilà donc à quoi s’emploie ou est employée la police à Poitiers ! Alors que des personnes, des hommes – y compris gravement malades ou convalescents sortants de graves maladies -, des femmes – y compris enceintes de 7 mois – et même des enfants en sont réduits à coucher à la rue, à souffrir de la faim, à souffrir du froid, à être démunis de tout, alors que des familles de migrants, roms et autres subissent la politique raciste de la préfecture et de sa police, cette même police qui a été complice de l’expulsion illégale des squatteurs de la rue Carnot et qui a fait subir ces traitements indignes et ces tortures à cette famille au commissariat, est obnubilée par le DAL86 et surtout par l’un de ses membres !

Il y a un an, dans l’article « Par delà la banalité du mal »  , nous dénoncions cette inversion des valeurs qui pourrissait l’action de nos pouvoirs publics et pointions la position immorale et surtout illégale du président du conseil général. Nous écrivions à l’époque : « Que le procureur de la République fasse « interpeller, placer en garde à vue puis en centre de rétention en région parisienne avant leur expulsion » des jeunes gens tout juste majeurs (si tant est qu’ils le sont vraiment) uniquement parce qu’ils sont en situation irrégulière, dénote l’inhumanité de notre administration et montre la banalité du mal au sens qu’Hannah Arendt a donné à cette expression [VOIR]. Le procureur de la République, monsieur Nicolas Jacquet, peut dire qu’il ne fait qu’« appliquer la loi » et ainsi se donner un semblant de bonne conscience en faisant son « petit homme », comme le nomme la philosophe dans son livre Eichmann à Jérusalem, essai sur la banalité du mal. […]

Mais que le conseil général, chargé par la loi de leur « apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique » se concerte avec le procureur de la République pour mettre au point cette riposte policière qui pourrait conduire à leur expulsion du territoire français, a de quoi laisser songeur sur, pour être gentil, la rigueur morale de cette institution qui semble plus préoccupée par les économies qu’elle pourrait faire que par la loi, en particulier son propre Code, […]

Bruno Belin se place alors irrémédiablement au delà de la banalité du mal. En effet, le « petit homme » Eichmann se défendait et cherchait à se donner bonne conscience en disant qu’il n’avait que fait son devoir par devoir, qu’il n’avait qu’obéit aux ordres et respecté les lois. Bruno Belin ne peut se prévaloir d’une telle chose puisqu’il ne respecte pas les lois. Nous sommes en présence non pas, comme dans le cas de notre bon procureur, d’un système totalitaire, mais d’un système hétéronome absurde dans lequel, l’Etat ne respecte même pas les lois qu’il a énoncées lui-même. Ce système, dans lequel le pouvoir l’emporte toujours sur la loi, c’est le capitalisme. »

Nous pouvons affiner aujourd’hui notre analyse. Un gouffre sépare le monde d’Eichmann du monde de notre bon procureur, de notre bon président du conseil général, de nos bons policiers. Le monde d’Eichmann est totalitaire et gravite autour de la contradiction entre légalité et légitimité. Les ordres du Führer ont force de loi. C’est pour cela qu’Eichmann s’est défendu en disant qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres. Le monde de notre bon procureur, de notre bon président du conseil général, de nos bons policiers, est démocratique. Contrairement au monde d’ Eichmann, le droit y est omniprésent et ils se meuvent dans des conflits de normes. Eichmann était confronté à un conflit autrement plus redoutable que nos petits fonctionnaires. Eichmann devait choisir entre la morale et le droit. Sa possible désobéissance aux ordres ne pouvait être que radicale. Nos fonctionnaires, eux, peuvent et doivent choisir – et bien choisir – en usant de leur sens moral entre des droits en conflits. Leur désobéissance à une loi est relative puisqu’elle est obéissance à une loi supérieure. Par exemple en investissant le squat au prétexte d’un vol d’électricité, et en bafouant ainsi le droit au logement et les droits de l’enfant, nos policiers n’ont pas fait leur devoir et se sont comportés comme s’il étaient dans le même monde qu’Eichmann, dans un Etat totalitaire. Autre exemple en se focalisant sur le Dal86 et l’un de ses membres et en ne se préoccupant pas le moins du monde des personnes, des hommes – y compris gravement malades ou convalescents sortants de graves maladies -,des femmes – y compris enceintes de 7 mois – et même des enfants en sont réduits à coucher à la rue, à souffrir de la faim, à souffrir du froid, à être démunis de tout, se comportent pire qu’Eichmann puisqu’agissant dans un Etat démocratique, ils font comme s’ils vivaient dans un Etat totalitaire.

A moins que nous soyons d’ores et déjà dans un tel Etat totalitaire ? Nous l’évoquions à propos de l’affaire Mamadou Camara : « les pouvoirs publics, pour se donner de grandes marges de manœuvre dans leur gestion des migrants et des demandeurs d’asile, ont choisi cette solution de facilité qu’est la circulaire qui, il faut le savoir, n’a ni plus ni moins de valeur qu’une « note de service ». C’est pratique est assez efficace pour mettre en œuvre la politique d’expulsion à tout prix préconisée par les plus hauts sommets de l’Etat. Mais, à force, les décideurs tombent dans le plus pur arbitraire. […] La force primant sur le droit, l’annule carrément. Le système, reposant sur le « droit » du plus fort – qui n’est évidemment pas un « droit »-, devient progressivement despotique.

D’ailleurs, même si le pouvoir n’utilisait pas abondamment les circulaires pour gouverner, le système a tendance à devenir despotique de lui-même car la loi est l’expression même du rapport de force. Comme l’écrivait Rousseau : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir ». »

« Car enfin, il faut en prendre son parti et se dire une fois pour toutes, que la bourgeoisie est condamnée à être chaque jour plus hargneuse, plus ouvertement féroce, plus dénuée de pudeur, plus sommairement barbare; que c’est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluent toutes les eaux sales de l’histoire ; que c’est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement, et que c’est la tête enfouie sous le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant du cygne. » Aimé Césaire, Discours sur le Colonialisme (1950), éd. Présence africaine, 1989, p. 54

Ou encore : « J’ai beaucoup parlé d’Hitler. C’est qu’il le mérite : il permet de voir gros et de saisir que la société capitaliste, à son stade actuel, est incapable de fonder un droit des gens, comme elle s’avère impuissante à fonder une morale individuelle. Qu’on le veuille ou non : au bout du cul-de-sac Europe, je veux dire l’Europe d’Adenauer, de Schuman, Bidault et quelques autres, il y a Hitler. Au bout du  capitalisme, désireux de se survivre, il y a Hitler. Au bout de  l’humanisme formel et du renoncement philosophique, il y a Hitler. » Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1955, p. 6.

 

PS : alors qu’au Dal nous avions l’information que la police était intervenue au squat pour un flagrant délit de vol d’électricité et en utilisant une plainte d’EDF », nous avons été étonnés que la presse quotidienne locale écrive : « « C’est une affaire judiciaire », indiquait la police sans plus de précisions. » D’autant plus que les scellés ont disparus hier, le fil et le carton où il n’y avait rien d’écrit avaient disparu et la cire avait été proprement grattée. Affaire à suivre.

 

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Permanences : tous les samedis matin de 11h à 12h Maison de la Solidarité 22 rue du Pigeon Blanc Poitiers

 

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